Préface Hanafi peint un petit univers bien heureux. Sous de cieux constellés d'étoiles ou marbrés de nuages rosés ou citronés, les scènes et les saisons se succèdent au rythme des fêtes, des célébrations, des jeux, des promenades et autres activités diverses. Tout le monde s'anime, s'amuse, sourit et semble gentil. Même les adultes se marrent durant les tempêtes de neige, conduisant leur engin motorisé avec l'insouciance et l'entrain des gamins. Voilà un monde bien irréel direz-vous, plus près du conte de fée que l'ambiance de la vie urbaine, souvent empreinte de grisaille et de misère. Les artistes naïfs verraient-ils la ville sous un autre angle, béatifique et angélique ? Les scènes montréalaises de Miyuki Tanobé, autre peintre bien connue pour son art populaire, tendent à accréditer cette thèse. Les tableaux de ces deux créateurs présentent d'ailleurs plusieurs affinités. Pourtant, il y a des exemples du contraire : le New York de Ralf Fasanella, ce grand peintre naïf au talent fascinant, est parfois bien sombre et souvent très sévère. Mais voilà, Montréal n'est pas New York, ni une autre ville. Elle a son caractère, sa personnalité, ses manifestations particulières de joie de vivre, et Hanafi en est passionné. C'est bien là le message qu'il livre, inlassablement, toile après toile, page après page. Ses personnages n'ont de vie et de bonheur que dans les rues, les ruelles, les marchés et les parcs montréalais. Si on les retire de ce décor -- cela vaut la peine d'en faire l'exercice mentalement -- ils deviennent béats et insignifiants. Leur apparence candide et joyeuse a besoin du cadre urbain pour se révéler, pour devenir art. C'est sans doute pour cela qu'Hanafi s'astreint à rendre l'architecture et les paysages montréalais dans toute leur réalité, jusque dans les moindres détails. Les perspectives sont exactes, même si elles ondulent à l'occasion. Les ensembles, les éléments architecturaux, les matériaux et les couleurs sont égalements reproduits avec la plus grande minutie. L'ambiance est, enfin, fidèlement rendue. Il n'y a pas à se tromper sur l'identité des quartiers et des rues : on est bien sur le Plateau Mont-Royal ou à Outremont, dans la rue Saint-Denis ou dans la rue Sherbrooke. Il serait plus juste de parler, au sujet de cette représentation du Montréal physique, d'hyperréalisme que d'art naïf . Ce qui crée l'émotion et rend les peintures d'Hanafi attachantes, c'est cette étonnante symbiose entre des personnages prototypes et anonymes (sauf exceptions, comme dans la parade de la coupe Stanley en 1993 où l'on reconnaît des figures familières du club de hockey Canadien) et la ville réelle, vécue, celle que l'on fréquente tous les jours. Comment une telle symbiose est-elle possible ? Pourquoi semble-t-elle si normale ? Il n'est pas nécessaire de se livrer à une analyse poussée pour découvrir les raisons de cet état de chose : elles s'imposent d'elles-mêmes. Montréal, est en effet, une ville animée, dont l'usage par les citoyens des rues, des places, des parcs et des marchés publics fait partie intégrante de l'identité du lieu. Il est paradoxal qu'il faille souligner cet aspect, comme si les espaces publics n'étaient pas normalement destinés à être utilisés par la population. Hélas, rares sont maintenant les villes sur ce continent où une telle pratique est usuelle, où les gens aiment et peuvent déambuler dans les rues, jouer dans les parcs, magasiner, se divertir, voir et être vus, et cela à toutes les heures du jour et de la nuit. Les rues montréalaises d'Hanafi, qui sont grouillantes de monde à l'Halloween, à Noël, au Jour de l'An ou les soirs de tempête, ne sont pas désertes les autres jours ni les autres saisons. Elles font partie de l'extension du logement et du commerce : c'est le lieu par excellence de la représentation sociale, de la sphère publique, de l'identité collective. Originaire du bassin de la Méditerranée, berceau de ville occidentale, Hanafi connaît de source cette qualité fondamentale d'appropriation qui fait l'essence profonde de la ville et aussi son charme et son attrait. On sent dans sa peinture tout le plaisir qu'il ressent à retrouver cette atmosphère de cette félicité. La seconde raison a trait au caractère de l'architecture montréalaise. Cette architecture, principalement celle des quartiers populaires, est coloré, pittoresque, enjouée, voire naïve. Elle pourrait aisément servir de décor à un conte de fée. Il n'y a donc pas de mystère au fait que les personnages imaginaires d'Hanafi s'y sentent à leur aise. Verrait-on les mêmes créatures évoluer avec autant d'aisance dans des lieux plus formels, tels que la Place des Vosges à Paris ou les calmes squares géorgiens de Londres ? Le Montréal des quartiers populaires fait partie des rares villes de la période industrielle dont les habitants n'ont pas été prolétarisés et les paysages urbains complètement uniformisés. Verrait-on encore les personnages d'Hanafi s'animer avec autant d'entrain dans certaines rues mornes et couleur de suie de Manchester et Sheffield en Angleterre, de Pittsburg et de Baltimore aux États-Unis ? Toutes les belles et bonnes villes ont leurs chantres : poètes, prosateurs, peintres, photographes... Montréal a les siens. Dans cet ouvrage Hanafi rend hommage à sa manière à cette ville qui le passionne. Sa manière est naïve mais peu banale. Jean-Claude Marsan *
_________________________________________________________________________ * Jean-Claude Marsan, architecte et urbaniste de renommée internationale. |
